vu par Serge Goyens de Heusch

Après avoir évolué dans le cadre d’une figuration libre, teintée de fauvisme et de cubisme, Thierry de Villers se vouait à l’abstraction dès l’aube des années 60.  Comme il l’a dit lui-même : « J’ai abandonné la figuration, poussé irrésistiblement vers ce qui me semble primordial dans la peinture : l’organisation et les rapports de lumière, couleurs, lignes, formes, une musique immobilisée dans une surface. »  Une musique immobilisée, on ne pourrait mieux dire !  Se dérobant à la désignation précise, comme la musique, la peinture de Thierry de Villers parle directement à la sensibilité pour dire le mystère du réel avec infiniment de délicatesse.  Sans doute seraient-ce des analogies avec la musique qui traduiraient le mieux l’émotion suscitée par les œuvres de l’artiste : ces jeux chromatiques et graphiques de caractère abstrait sollicitent l’imagination par le biais de signes qui détiennent une correspondance secrète avec les choses de la nature.

Dans ses premières abstractions, lorsqu’il se met à peindre non comme il voit, mais comme il sent, Thierry de Villers cloisonne des surfaces doucement géométrisées en des gammes colorées qui s’articulent sur la mise en évidence de couleurs vives en contraste avec d’autres plus éteintes.  Imbrications formelles, nuances chromatiques, équilibres linéaires instaurent des climats nourris de vibrations retenues, de respirations intérieures, de secrets murmurés.  Avec les années, la maturation de cet art s’épanouit dans la sérénité, sans équivoque, selon une invention toujours renouvelée, pourvu que celui-ci contienne quelque chose de l’infini du monde et de la pensée qui le reflète.

Thierry de Villers aurait pu dire avec Paul Klee : « Je peins abstrait avec des souvenirs. »  C’est que les impressions visuelles, tactiles et olfactives qui alimentent son inspiration se sont entre-temps dépouillées de leur contexte concret : elles ne sont plus que modulations colorées, écrites d’un geste à la fois souple et volontaire dans l’architecture générale de la composition, trahissant un profond lyrisme de l’âme et une vision poétique de la vie.  De telles œuvres, par la saveur du toucher pictural et une gestualité mesurée, procurent une délectation sensorielle, mais à la frange de cette sensation, elles deviennent aussi spiritualité ;  aussi les a-t-on qualifiées de « paysages intérieurs ».  La touche et la tache trouvent leur essor par un développement propre, et cependant, elles parlent secrètement des choses de la nature et de la vie.  L’artiste mêle à l’épreuve de la nature qu’il a contemplée sa propre subjectivité.

C’est au terme d’une lente rêverie et d’une réflexion amoureuse, qu’il fomente ses équivalences plastiques : en résultent de fécondes hybridations entre éléments naturels et ce que restituent ses propres dispositions psychiques.  L’univers psychique partage ici ses lois avec l’univers physique, l’un et l’autre étant les deux rameaux disjoints du réel : d’une part celui qui est pensé et imaginé, de l’autre celui qui existe, l’un comme l’autre ne s’exprimant qu’à travers les moyens spécifiques de la peinture.

L’œuvre par trop méconnue de Thierry de Villers (la nature de l’artiste le porta toujours à demeurer en retrait sur ses mérites) appartient au courant de l’abstraction lyrique, mais un lyrisme « tempéré par une douceur angevine », ainsi que l’a dit joliment Jo Dustin.  Des critiques aussi écoutés que Paul Caso, Urbain Van de Voorde, Alain Germoz, et plus près de nous Jo Dustin, Roger Pierre Turine, n’ont pas manqué de se pencher sur son œuvre et ont analysé dans leurs colonnes l’apport du peintre à l’art abstrait en Belgique.  À mesure que son art s’approfondissait, Thierry de Villers a exprimé dans sa peinture l’inexprimable, le sentiment mystérieux d’une transcendance éclatant dans l’ordre naturel du monde, pour tout dire, quelque chose de sacré.

À l’occasion de l’exposition de Thierry de Villers
à la Maison de la Culture de Namur, en janvier et février 2006
« Un lyrisme musical » par Serge Goyens de Heusch, docteur en histoire de l’art.